Cinéma & Séries

[Critique] Les 8 Salopards - Bloqué dans une pièce avec des tarés

Le 6 janvier 2016 est sorti le dernier film d'un réalisateur très souvent cité comme un des meilleurs de sa génération, ou en tout cas un des plus spéciaux: Quentin Tarantino.
Le genre du Western modernisé, à la fois viscéral et jouissif [sans spoilers]
Imaginez dans un Far West profond, dans les Rocheuses durant l'hiver, quelques années après la guerre de Sécession, deux chasseurs de primes se rencontrent sur la route. L'un escorte des cadavres de hors-la-loi, l'autre une prisonnière valant $10k à pendre dans la ville voisine. Pressés par le blizzard, ils se retrouvent rapidement bloqués dans une auberge pour diligence, en compagnie de 6 autres personnes, et toutes ne semble pas dire la vérité à leur sujet...

Casting de poids pour un huis clos enneigé

Le principe du film est simple, vous prenez 8 personnes qui mentent tous plus ou moins sur leur identité, qui ont tous des raisons de s'étriper joyeusement et vous les mettez tous ensemble dans la même pièce pendant plusieurs jours, sans possibilité d'évasion. La question qui se pose ensuite, c'est quand est-ce que ça va partir en vrille?
[Critique] Les 8 salopards - Bloqué dans une pièce avec des tarés

Tous les salopards réunis pour prendre la pose

Du coup le film est emmené par des acteurs d'exception qui incarnent des personnages tous très différents. En vrac on a le Major Marquis Warren, un ancien soldat noir reconvertit en chasseur de prime, incarné par Samuel L. Jackson; John Ruth, dit le Bourreau, un autre chasseur de prime beaucoup plus pervers (il préfère voir ses proies pendues sous ses yeux) joué par Kurt Russell et sa prisonnière complètement folle, Daisy Domergue, portée à l'écran par Jennifer Jason Leigh. Reste ensuite les autres personnages: le shérif, le court-sur-patte, le cow-boy, le mexicain et le confédéré. Bref, que des gueules sacrées chères au cinéma de western. On comprend ensuite rapidement que une ou plusieurs personnes ont pour objectif la prisonnière, ou en tout cas ne sont pas aussi pacifiques qu'elles peuvent le prétendre. La tension monte entre les personnages paranoïaques à l'aide de dialogues acerbes et bien sentis impliquant toujours au moins une insulte en sous-texte. En bref, angoisse, tension verbale, menaces, personnages iconiques, menteurs et menaçants, alliances improvisées et ténues, violences physiques mais surtout verbales, tous les ingrédients sont réunis pour faire un bon huis clos atypique.

Un retour aux sources

Tarantino est connu pour son amour des vieux films de western, son univers particulier parfois complètement déjanté et aussi pour sa façon de raconter des histoires de façon non linéaire. C'est à dire que le film est découpé en différents chapitres, à la manière d'un livre, avec un titre pour chaque partie. Mais chaque partie n'est pas forcément la suite de la précédente. C'est un mode de narration que le réalisateur affectionne particulièrement, et qui est devenu récurent dans sa filmographie depuis Reservoir Dogs, et tout particulièrement les fameux Pulp Fiction et Kill Bill 1&2 (à voir absolument). Il avait laissé de côté ce style avec Django Unchained, son précédent film, lui aussi un western, mais plus "conventionnel", avec une histoire plus proche de nos canons habituels, et dans un style radicalement différent des 8 Salopards.
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Samuel L. Jackson, alias Major Marquis Warren

Dans le film Tarantino revient dans ce qu'il sait faire de mieux, c'est à dire installer une histoire où le spectateur ne comprend rien au début, puis donne les clés de compréhension au fur et à mesure, dans le désordre, pour maintenir l'effet de surprise. Et ça marche très bien ici. Bon après ce n'est pas non plus l'histoire la plus complexe de l'histoire du cinéma, elle se comprend très bien. Pas besoin non plus de retenir les noms des 8 personnages principaux, ils sont suffisamment différents et iconiques pour les nommer par leur rôle plutôt que par leur nom. Certaines scènes feront aussi penser à des passages des films du même réalisateur. Par exemple la scène de la sodomie de Pulp Fiction a trouvé ici sa petite sœur, et celle-ci n'a rien à envier à la première niveau "trash-atitude" (c'est même encore plus fort à mon avis). Les plus attentifs verront aussi d'autres références à ses longs métrages, sans pour autant faire dans la redite. A la demande de Tarantino, le film a été entièrement tourné en Ultra Panavision 70mm, un très vieux format de capture vidéo (abandonné depuis l'avènement de la capture numérique) permettant de faire des très grandes images dans beaucoup de situations. Du coup le format permet de faire respirer le spectateur malgré une atmosphère entre les personnages complètement instable et irrespirable.

Un rythme parfois bancal, mais la violence est bien là

Si les quelques premières minutes mettent bien en jambe et ne perdent pas de temps pour lancer les premières discussions tendues et faire gicler les premières gouttes de sang (les premières paroles de Domergue sont accueillies par un énorme coup de coude dans le visage), la première heure reste quand même très longue et tire un peu trop sur la corde de la tension. Faire durer les choses pour faire monter le stress c'est bien, mais le problème c'est que le film essaie de faire ça alors que tous les personnages ne sont pas encore introduits. Résultats: la première heure amorce des conflits, puis les désamorce tout de suite derrière. Dommage, quand on sait que le film dure trois heures (et 10 minutes d'entracte au milieu, fait très rare de nos jours), on peut se dire qu'il aurait facilement pu être légèrement raccourci de quelques minutes sans nuire à la qualité du film. Ou alors il aurait fallu dynamiser un peu plus certaines séquences très lourdes à voir à la longue (les sorties dans le blizzard notamment, elles apportent assez peu au final). Mais à partir de la fin de la première heure et du début du monologue de Samuel L. Jackson, la donne s'inverse et le film atteint son objectif, c'est à dire lancer les personnages les uns contre les autres.
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Daisy Domergue, qui en prend vraiment plein la face dans ce film. Littéralement.

Et là, la violence physique apparaît (très longue à arriver, le premier coup de feu n'est tiré qu'au bout d'une heure et demie, pas banal pour un western). Le film contient pas mal de scènes assez graphiques et pleines d'hémoglobine, mais ce n'est pas de la violence à outrance comme le réalisateur peut avoir fait dans Kill Bill où il y a tellement de membres coupés que ça devient hilarant (et c'est le but). Ici la violence est visible, car oui, une balle tirée dans quelqu'un ça fait de gros dégâts, mais pas continue. Il y a de nombreuses pauses où les personnages discutent entre les échanges de coups de feu, chacun cherchant les traîtres ou à former des alliances. Les fans de Tarantino ne seront clairement pas dépaysés, même si c'est sans doute un des moins fort au niveau de la violence physique, la violence verbale et la tension psychologique ne sont clairement pas en reste. De nombreuses scènes possiblement cultes et de dialogues magnifiques remplissent ce film. Ce n'est pas non plus son chef-d’œuvre, mais ça reste quand même très sympathique à regarder.

Où est passé la musique ?

Le gros coup de pub pour ce film a été fait lorsque il a été rendu public que Tarantino avait réussit à faire sortir de sa retraite Ennio Morricone, un des plus grands compositeurs de musique de western (si ce n'est le plus grand) jamais existé. C'est le célèbre compositeur des B.O. de quasiment tous les films de Sergio Leone (Le Bon la Brute et le Truand,...). Donc concernant la musique des 8 Salopards l'attente était importante. Sauf que une fois le film fini, on se demande où celle-ci a bien pu passer. Il y a bien quelques musiques qui parsèment le film, mais aucune ne marque vraiment. On ne reconnait pas de thème marquant, aussi iconique que les personnages. Mais en même temps ce n'est pas un film qui se prête à une bande originale intrusive. L'ambiance se fait sur la relation entre les différents salopards, pas avec la musique. On se consolera cependant en se remettant un petit coup du thème du Bon La Brute et le Truand. De rien c'est gratuit.

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