Un an avec le navigateur Brave
Cela fait maintenant plus d’un an que j’utilise au quotidien, sur tous mes appareils, le navigateur Brave. Après une si longue période et après avoir testé la majorité des fonctionnalités du navigateur, je me suis dit qu’il était temps de faire un petit retour d’expérience.
Quitter Chrome, sans vraiment le quitter
Lorsque je suis passé sous Brave, ma démarche était avant tout de quitter Chrome plus qu’autre chose. Cela faisait un moment que j’essayais d’esquiver les GAFAM au quotidien, et si je peux difficilement me passer de Windows pour travailler à cause de nombreux outils, le navigateur était quelque chose de relativement simple à remplacer.
En vérité, j’aime bien Chrome. Ou plutôt, j’aime bien Chromium, sa version open source. Le navigateur est élégant, rapide, plein de fonctionnalités intéressantes, et possède un magasin d’extension particulièrement fourni.
La plupart des gens utilisent Chrome, la version de Chromium avec toute la surcouche Google par dessus. Sauf que cette surcouche comprend énormément de traqueurs et autres siphons de données, ce que j’essaie d’éviter au maximum aujourd’hui, soucieux de ma vie privée.
Chromium permet d’enlever cette surcouche, tout en gardant beaucoup de fonctionnalités actives, mais le navigateur est moins simple à utiliser. Les mises à jour ne se font pas automatiquement, sur mobile ça ne fonctionne pas toujours bien, et se faire un navigateur custom dédié à la vie privée n’est pas facile. C’est faisable, mais demande beaucoup de configurations pas forcément accessibles au tout venant.
Brave, c’est un peu la réponse à cette problématique. Mais non content de faire un navigateur grand public basé sur Chromium dédié à la préservation de la vie privée, Brave apporte tout un tas de fonctions bonus, dont certaines ont tout simplement le potentiel de changer le monde de la pub.
Brave, un navigateur sans pubs ni traqueurs ?
Beaucoup de gens résument Brave comme étant un navigateur ressemblant à Chrome, mais avec un Adblocker intégré. C’est vrai, mais c’est aussi bien plus que ça.
Déjà, comme évoqué au dessus, Brave se base sur Chromium. Comme Edge, Chrome, et la majorité des navigateurs d’aujourd’hui. Ce qui fait qu’un utilisateur standard n’est pas perdu, peut importer ses favoris et ses préférences lors d’un changement de navigateur, et l’immense majorité du Chrome Web Store est compatible. Passer sous Brave en venant de Chrome, pour une personne lambda c’est pratiquement juste un changement de logo.
Mais par-dessus Chromium, Brave ajoute plusieurs surcouches, dont la plus évidente : Brave Shield.
Il s’agit d’une suite de programmes de bloqueurs de pubs et traqueurs, qui vont enlever les pubs visibles, couper les scripts malveillants ou publicitaires, et forcer le site à utiliser des systèmes sécurisés. Globalement il s’agit d’un Adblock particulièrement amélioré, et surtout dont la “puissance de blocage” est contrôlable à l’envie via le bouton Brave Shield de la barre d’adresse.
Par défaut Brave Shield est plutôt bien configuré. Vous ne verrez plus de pubs, le navigateur sera légèrement plus rapide (parfois les sites se chargent en 8 fois moins de temps quand même), et assez peu de sites entrent en conflit avec le système. Si cela arrive, Brave Shield peut être temporairement désactivé sur une page au besoin.
Et le meilleur dans tout ça, c’est que c’est aussi disponible sur smartphone ! Un des rares navigateurs avec un adblock sur smartphone.
Par contre, si Brave est considéré par des experts de la sécurité comme le meilleur navigateurs sécurisé juste en dessous de Tor (intégré en partie dans Brave via la navigation privée), ça n’en fait pas pour autant une panacée. Il y a toujours des informations qui sortent du navigateur à votre insu. Elles ne vont pas délibérément chez Brave (sauf pour une option désactivable), mais il reste des scripts qui ne sont pas arrêtés par Brave Shield, et des sous-programmes obligatoires présents dans Chromium..
En réalité, par rapport à un navigateur comme Chrome, le paradigme est inversé. Avec Chrome on est surpris lorsque nos données ne sont PAS envoyées pour être revendues, alors qu’avec Brave on est surpris quand elles le sont. Ce qui n’arrive pas très souvent non plus.
Cela dit à titre personnel je préfère ça dans ce sens plutôt qu’avoir un Chrome open bar...
D’autres fonctions un peu cachées…
Si déjà avec un adblock amélioré intégré on est face à un bon navigateur, Brave embarque plein de fonctions plus ou moins visibles qui peuvent toujours servir, bien qu’ils ne communiquent pas beaucoup dessus.
Brave Stats est un indicateur de performance de Brave Shield. Sur la page nouvel onglet, vous pouvez afficher l’estimation du temps que vous avez gagné et les données économisées par l’utilisation de Brave. Vous verrez, les chiffres montent très vite !
Brave Today est un flux d’information disponible sur la page nouvel onglet. C’est utile, bien qu’encore à ses balbutiements. Seuls des articles états-uniens sont proposés pour l’instant, des améliorations devraient venir au fil des mises à jour.
Brave Firewall+VPN est, comme son nom l’indique, un VPN intégré au navigateur. Pour l’instant disponible uniquement sous iOS pour 10€/mois (100€/an), il devrait arriver sur les autres supports d’ici la fin de l’année. C’est utile, bien que n’ayant pas d’équipement Apple je ne l’ai pas testé, et que je trouve son prix très prohibitif.
Brave Together est un système de conférence vidéo léger dans le style Zoom, mais sans passer par la Chine. Il fonctionne correctement, mais pose encore pas mal de questions. Bien que basé sur une technologie open source, le système n’est pas entièrement pair à pair, les serveurs sont hébergés sur Amazon Web Services, et le chiffrement bout en bout promis est simplement du TLS2. Pour le coup ils peuvent clairement mieux faire, bien que j’apprécierais l’idée de me séparer entièrement de Zoom.
Brave supporte aussi l’IPFS. Peu de gens connaissent cette technologie, mais c’est pourtant quelque chose qui est amené à se démocratiser dans les années à venir. Il s’agit d’un protocole permettant de parcourir le web en pair à pair, éliminant beaucoup de contraintes liées à la centralisation via les serveurs. C’est encore à l’état expérimental et très technique, cette fonctionnalité s’adresse avant tout aux testeurs et mordus des évolutions du web.
Bref, plein de petites fonctionnalités viennent se greffer sur le simple concept du navigateur. Beaucoup sont gadgets, à l’état de prototype ou encore dans les tuyaux, mais c’est plutôt agréable de se voir proposer plein de fonctionnalités.
Cependant toutes les options présentées font pâle figure comparé à l’écosystème interne que Brave est en train de mettre en place autour des crypto-monnaies. Notamment une en particulier, créée par la fondation Brave spécifiquement pour le navigateur : le Basic Attention Token (BAT).
Brave Rewards, le futur des pubs sur Internet
Dans les années 90, une erreur a été commise. Lorsque les premières pubs sont apparues sur Internet, le prix auquel une pub se négociait est parti de trop bas, surtout considérant l’impact que celles-ci auraient durant cette décennie.
Comme le prix était bas, il a fallu en mettre beaucoup. Puis celui-ci a encore baissé dans les années 2000, donc il a fallu en mettre encore plus. Puis les adblock sont apparus, et tout cela n’a fait que précipiter encore plus la chute du prix de la pub.
Aujourd’hui le modèle économique d’Internet basé sur la pub ne fonctionne plus du tout. Tout le monde n’utilisant pas un bloqueur est assailli de popups à n’en plus finir. La pub incentive n’a plus d’impact.
Brave se propose de remédier à ce problème, et en règle même d’autres au passage.
Brave Rewards est un système inclus dans le navigateur complètement optionnel. Une fois activé, le navigateur vous proposera une à cinq fois par heure (et jusqu’à 21 par jour) une publicité sous la forme d’une notification système.
Lorsqu’une pub est affichée, un portefeuille local de cryptomonnaie est crédité d’un certain nombre de BAT, dépendant du prix payé par l’annonceur. Cette somme augmente avec le temps, atteignant en moyenne 5 dollars mensuel, parfois plus, notamment dans les derniers mois de l’année. Vous êtes littéralement payé pour voir de la pub.
Ce système rend à la pub sa puissance, tout en protégeant les données de l’utilisateur.
Ce qui fait fonctionner Brave Rewards, c’est que les pubs ne sont pas trop présentes. Elles arrivent suffisamment rarement pour qu’on fasse attention. Contrairement au trop-plein du web actuel, là elles sont suffisamment rares pour que notre esprit s’y intéresse. Les premiers retours des annonceurs donnent des nombres de clics de l’ordre de x4 à x10 par rapport à des publicités “classiques”. Le gain est énorme.
De plus, ces pubs ne nécessitent pas de renvoyer les données utilisateurs à des serveurs. En réalité tous les navigateurs Brave téléchargent chacun toutes les pubs (ce qu’on appelle le catalogue), et c’est le navigateur lui-même qui va sélectionner les pubs qui vont vous intéresser. Il fait tout ça car en local il observe les types de sites que vous visitez, pour alimenter des variables d’un algorithme de machine learning (le fichier est lisible dans le dossier de Brave pour les curieux). Ainsi, vos pubs sont un peu personnalisées, mais vos données ne sortent pas de chez vous pour alimenter votre profil en ligne des GAFAM.
Maintenant à quoi ça sert ? Ce n’est pas avec 5 dollars par mois que je vais devenir riche !
Brave Rewards ne sert pas à ça. Le BAT sert à récompenser votre attention, et c’est à vous d’aider les gens qui n’ont plus de pubs pour vivre. Aujourd’hui, les créateurs de contenu du net peuvent difficilement vivre de la pub classique, même si vous n’aviez pas de bloqueur la pub ne paie de toute façon plus rien. Cependant Brave permet de payer directement ces créateurs avec des BAT !
Un créateur de contenu du net peut demander à Brave de vérifier son site, son Twitter, son Reddit ou même sa chaîne Youtube. Une fois vérifié, n’importe qui utilisant Brave peut cliquer sur l’icône du BAT en haut à droite du navigateur et envoyer un don en BAT. Ce don peut ensuite être réutilisé par le créateur, ou échangé contre l’argent sur la plupart des plateformes d’échanges de crypto-monnaies.
C’est simple, rapide et ne dévoile l’identité de personne dans le processus. Cela permet aussi d’éviter de cumuler plein de comptes sur les sites de mécénat existants et de laisser traîner son numéro de carte partout.
Il s’agit pour l’instant du premier cas d’usage du BAT fonctionnel, mais bien plus sont en train d’être conçus. Le plus important à venir pour moi c’est la possibilité de passer les paywalls en payant directement avec des BAT. Vous savez, ces sites qui bloquent l’accès à un article si on est pas abonné ou si on ne désactive pas son bloqueur de pub…
Il y a énormément de choses à dire sur le BAT et son écosystème en devenir, c’est sans doute la crypto monnaie (qui n’est en fait pas une monnaie) avec le cas d’usage le plus concret de toute l’industrie. Je détaillerai tous les tenants et aboutissant de ce système dans un autre article dédié.
Les mauvais côtés de Brave
Oui, malgré le portrait très flatteur que je dresse ici du navigateur, il n’a pas que des bons côtés. Je vais vous lister les plus gros problèmes que j’ai pu lui trouver.
- Ce n’est pas un autre navigateur.
Oui cela peut paraitre idiot, mais le principal frein lors d’un changement de navigateur, c’est qu’il faut se réhabituer à un autre environnement. Et ce n'est pas facile. Dans le cas de Brave, si vous venez d’un autre Chromium ce n’est pas très dur, mais changer de navigateur c’est un peu comme déménager, ça ne se fait pas facilement. - Des soucis techniques.
Régulièrement, les fonctionnalités avancées ont des problèmes techniques (surtout la partie Brave Rewards). Pour la grande majorité des gens, cela va fonctionner correctement, mais pour certains il va y avoir des blocages, retards et autres problèmes majeurs. A titre personnel, les seuls soucis techniques que j’ai pu avoir sont des périodes sans pubs de plusieurs jours, des retards dans les paiements de Brave Rewards et de temps en temps Brave Shield qui laisse passer une ou deux pubs sur Youtube (souvent résolu dès le lendemain). Rien qui n’impacte le fonctionnement de base du navigateur. - La côté sécurité utilisé un peu n’importe comment
Comme c’est un domaine compliqué, la fondation Brave a tendance à sortir plein de fonctions labellisées “sécurisées” alors qu’en réalité elle ne le sont pas vraiment. Il est assez facile de se faire avoir et de se prendre pour un hacker de cinéma indétectable. En réalité, vous êtes certes moins ouvert aux attaques et espionnage, mais vous n’êtes pas tout le temps complètement protégé. Même avec Brave, il faut faire attention sur internet. - Brendan Eich, le PDG.
Eich, créateur du Javascript et fondateur de Mozilla est un personnage sulfureux et sujet à de nombreuses polémiques. Par le passé il a été démis de ses fonctions de membre du board de la fondation Mozilla pour ses dons en soutien à des projets de lois anti-mariage pour tous et lgbtphobes. Positions qu’il ne soutient publiquement plus depuis. Par contre pendant la pandémie du Covid 19, il s’est présenté publiquement comme anti-masque virulent. Bref, c’est un personnage à grande gueule et qui peut facilement déraper. Beaucoup de gens dans le projet Brave ont peur (à raison) qu’il ne mette des bâtons dans les roues du projet par des prises de position inconsidérées, à l’instar d’Elon Musk et de la majorité des entreprises dans laquelle il a mis les pieds.
Bref, ce n’est pas non plus tout rose, et je vous invite à continuer à vous renseigner.
Quelle place pour Brave dans le marché des navigateurs ?
Aujourd’hui, les navigateurs historiques sont en stagnation ou en perte de vitesse. Chrome garde sa place de leader avec près des deux tiers des navigateurs du monde, mais ne croit plus. Firefox est en train de mourir rapidement, surtout après les décisions controversées de son CEO. Edge remonte grâce à son passage sous Chromium et Safari reste cantonné aux utilisateurs Apple.
Brave tire son épingle du jeu sur plusieurs points. Il est rapide, performant, plutôt propre, modulable, non lié à un OS, et surtout est de base plus respectueux de la vie privée que la liste présentée ci-dessus. Cela n’en fait pas pour autant le navigateur parfait pour ça, mais dans un paysage où les concurrents vont souvent à l’encontre de cette démarche, c’est assez rafraichissant.
Aujourd’hui, Brave annonce 32.4 millions d’utilisateurs mensuels et 11.2 millions d’utilisateurs quotidiens. C’est beaucoup pour un navigateur méconnu du grand public et qui ne fait pas beaucoup de publicité, mais surtout la croissance est forte (+7/8% mensuel). Pour 2021 l’objectif est d’atteindre les 50 millions d’utilisateurs mensuels, c’est loin d’être impossible grâce à l’effet boule de neige.
Par contre là où Brave a encore du travail à faire, c’est pour faire accepter Brave Rewards. C’est un outil avec un très fort potentiel, mais aujourd’hui encore trop de gens le laissent désactivé par dépit, pensant recevoir un SMIC mensuel juste en utilisant leur navigateur. Ce n’est pas comme ça que ce système doit être utilisé, mais cette compréhension viendra peut-être avec l'arrivée de nouvelles fonctionnalités utilisant le BAT.
Conclusion
Je ne compte absolument pas revenir sur un autre navigateur. Si je suis un peu passé sur un coup de tête sur Brave, je ne compte pas le quitter. En tant qu’utilisateur simple il fonctionne très bien, en tant que développeur web tous mes outils sont là, et en tant que enthousiaste de la crypto monnaie, le BAT me paraît particulièrement prometteur et aujourd’hui sous-évalué.
Brave est suffisamment éloigné de Chrome pour qu’il y ait un intérêt à passer sur ce navigateur, mais en même temps il est suffisamment proche pour que la transition se fasse en douceur. Bref, comme dirait Edith Piaf, non je ne regrette rien.
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