Cinéma & Séries
[Critique] Sense8 Saison 1 - Une aventure humaniste par les créateurs de Matrix
Alala... Sense8... Sans doute une des séries les plus atypiques de ces 10 dernières années. Il s'agit d'une série de science-fiction créée par les Wachowsky (Matrix, Cloud Atlas, Jupiter Ascending) et Joseph Michael Straczynski. Produite et diffusée sur Netflix depuis le 5 juin 2015 la série tourne essentiellement autour de thèmes largement oubliés (souvent à tord) par ce genre de fiction : les différentes sexualités, l'identité personnelle, la politique et la religion.
Comment arriver à raconter autant de choses sur 12 épisodes d'environ 50 minutes ? Et bien laissez moi vous expliquer.
Bon pour tout vous dire c'est une série quasiment impossible à raconter par écrit, ne serait-ce qu'une infime partie (ceux qui l'on vu savent pourquoi), mais je vais faire de mon mieux. Dans tous les cas, regardez la série par n'importe quel moyen, foncez, c'est de la bombe over 9000! Ah et il n'y a pas de spoilers dans l'article.
8 corps, un seul individu
Tout commence dans une église en ruine, où l'on voit une femme qui semble sur le point de donner naissance, mais pas à un enfant physique (elle n'est pas enceinte d'un bébé au sens propre du terme). Elle semble aussi pouvoir discuter avec deux personnes, qui sont à la fois avec elle pour discuter, et à la fois pas à ses côtés physiquement. L'une est son amant, l'autre est un homme prêt à tout pour la retrouver et la capturer. Mais la femme met fin à ses jours pour éviter sa capture vivante juste après avoir donné une seconde naissance à 8 individus complètement étranger les uns des autres de part le monde.
Ramassez votre cerveau je vous explique. En réalité elle vient de donner naissance à un nouveau "cercle" de sensitifs (sensates en anglais, d'où le titre de la série). Un cercle de sensitif est un groupe de 8 personnes, qui un jour ont une seconde naissance. Leur seconde mère leur déclenche une capacité latente de leur cerveau, qui fait que ces individus auparavant un et indivisibles, vont fusionner en partie entre eux, non pas physiquement, mais mentalement. Ils partagent désormais leurs pensées les plus intimes, leurs capacités, leurs émotions, leurs douleurs... Mais tout en gardant leurs consciences respectives et leurs personnalités. C'est-à-dire que les membres du cercle restent quand même des hommes, mais sont devenus aussi beaucoup plus.
Leur capacité de sensitifs leur permet aussi de "visiter" les autres membres du cercle, c'est-à-dire de discuter avec eux comme s'ils étaient dans la même pièce à deux endroits différents dans le monde en même temps, sans utiliser autre chose que leur esprit. Oui je sais que c'est étrange dit comme ça mais visuellement c'est très bien mis en scène et ça fonctionne très bien. Les sensitifs peuvent aussi "visiter" des sensitifs d'un autre cercle une fois que le contact visuel regard à regard a été établi entre les deux personnes.
De plus dans leur propre cercle les sensitifs peuvent aussi prendre le contrôle du corps d'un autre pour lui venir en aide par exemple. C'est un peu comme si vous cédiez le contrôle de votre ordinateur à quelqu'un pendant quelques instants, sauf qu'il s'agit de votre corps. Bref, voilà pour les différents pouvoirs des sensitifs et de l'aspect science-fiction de la série.
Des héros représentant le monde entier
Revenons à l'histoire. La femme qui se suicide dans les 10 premières minutes de la série viens donc de donner naissance à un nouveau cercle composés de 8 personnes qui sont les héros de la série. Un tour d'horizon des différents protagonistes s'impose donc. On a donc Will Gorksi, un agent de police de Chicago, qui a du mal à concilier sa conscience, et les problèmes des ghettos blacks des banlieues américaines. Wolfgang Bogdanow, un fils de mafieux berlinois, voleur de haut vol, avec un gros problème de liens de sang qu'il rêve de quitter. Lito Rodriguez, un célèbre acteur mexicain obligé de cacher le fait qu'il soit gay à la vue du monde pour ne pas compromettre sa carrière. Riley Blue, une DJ islandaise expatriée à Londres complètement perdue dans sa vie, ballotée par le monde des Nights Clubs, avec ce que cela implique de drogue, de meurtre pour la drogue et autres joyeusetés de ce genre. Kala Rasal, une pharmacienne indienne fille d'un teneur de restaurant à Bombay, et promise au fils d'un grand industriel national, apparemment un mariage par amour, mais du côté de Kala rien n'est moins sûr... Nomi Marks, une super hackeuse transsexuelle lesbienne, dont la mère ne veut pas reconnaitre le changement de sexe et qui cherche à redémarrer dans la vie après avoir écopé de peines pour hack de services publics. Sun Bak, une sud-coréenne fille d'un PDG d'une grande compagnie, très forte en combat martial, qui cherche à se défaire d'une famille plus ou moins pourrie par laquelle elle est liée d'une vieille promesse. Et pour finir Capheus van Damnne, un conducteur de bus à Nairobi (la capitale du Nigéria), qui cherche à trouver de l'argent pour soigner sa mère, mais qui surtout est fan de Jean Claude Van Damm. Mais quand je dis fan, c'est ultra fan. Je n'ai jamais vu quelqu'un de plus fan que lui c'est assez hallucinant.
Tous ses personnages ne sont reliés par rien, sont complètement différents les uns des autres, et surtout sont tous très humains à leur manière. Il y a des personnes perdues dans leur vie, des personnes à la fois heureuses, mais insatisfaites... Elles ont tous des problèmes au final très peu "hollywoodiens". C'est-à-dire que ce sont des problèmes que vous et moi pourrions avoir, dans une autre vie ou dans la nôtre.
C'est un des reproches que certaines personnes ont fait à la série, que ce sont des personnes trop "normales" pour être intéressantes. Je trouve que c'est tout le contraire. Exit les héros bodybuildés, les demoiselles en détresses et les clichés qu'on nous ressert à chaque série. Ici, on peut facilement s’identifier aux personnages, et l'empathie est encore plus forte. Je suis quelqu'un de très peu sensible aux scènes dramatiques en général (je me marre devant Titanic), mais là, certaines séquences, par leur humanité simple et sans concession, ont réussi à me faire pleurer.
Chacun des personnages est en réalité là pour représenter des cultures, des modes de vie complètement différents, et la réunion par leur pouvoir fait naître une alchimie très puissante, chacun découvrant les différents pays des autres, les différentes façons de vivre une vie. Et aussi les problèmes engendrés. Cela va de la société encore très patriarcale et sexiste asiatique, au racisme ambiant américain. En bref, intolérants, passez votre chemin, cette série prône la diversité humaine dans son ensemble, ça se voit rien qu'au générique qui ressemble à un documentaire ARTE un peu flippant.
Une déclaration d'amour fantastique et visuelle à l'humanité
Les Wachowsky aiment bien les thèmes fantastiques complexes et les grandes idées qui dérangent. Dans Matrix, c'est la question de savoir si nous ne sommes pas dans un univers virtuel. Dans Cloud Atlas c'est la question de la destinée. Dans Jupiter Ascending, c'est la question de la récurrence génétique et de la réincarnation. Et dans Sense8, ça pourrait être : Qu'est-ce que c'est être humain ? C'est une question à laquelle la série essaie de répondre, sans pour autant prendre des airs pompeux avec des réflexions philosophiques dignes d'une copie de bac de philo ou d'un obscur penseur grec. Non, les Wachowsky ont essayé d'exprimer ce qu'ils pensaient du monde au travers de plusieurs personnes connectées comme par un réseau social, mais un peu plus performant que les nôtres, et en y incluant certaines de leurs expériences personnelles. Par exemple, il y a encore quelques années les Wachowsky étaient des frères, Larry et Andy. Maintenant, Larry s'appelle officiellement Lana, et est une femme, comme un des personnages de la série (et son actrice d'ailleurs). Le fait est que la série ne se perd jamais dans son but, montrer à la fois la part sombre, mais aussi la part éclairée de l'humanité. Et ça passe par de nombreuses séquences flippantes et viscérales (au niveau émotionnel hein! Ce n'est pas franchement une série d'action avec des cadavres partout), mais aussi des séquences magnifiques comme celle de la chanson What's going on!, ou du moment de la naissance des héros (la vraie). Même les scènes de sexes sont réussies. On aurait pu croire qu'avec 8 personnes reliées ensemble la moindre scène de sexe allait finir en orgie mal filmée, mais c'est tout le contraire (même si effectivement il y a une scène de sexe à 6, elle n'a rien de porno au sens où Internet ou votre mère l'entend). Je n'ai pu qu'être émerveillé par chaque plan choisi tout au long de la saison. Et le plus impressionnant dans tous ça, c'est que nul besoin d'être "entraîné" à voir ce genre de choses ou quoique ce soit, c'est tellement bien fait que même le premier venu peut apprécier toute sa qualité, tant qu'il s'en donne les moyens.
Je vous met ici la séquence "What's Going on!", pour vous donner une idée de ce que donne les capacités des sensitifs et le ton de la série. Attention cependant cela risque de casser un peu sa découverte dans la série.
Une série sauvée par les fans
Sense8 est une série qui a coûté cher. Très cher (estimé à environ 90 millions de $). En plus d'être tournée dans 9 villes différentes dans le monde (et pas les plus proches) par plusieurs réalisateurs différents, déplacer toutes l'équipe sur plus de 100.000 miles de temps de vol seulement pour une saison coûte cher. Ce n'est pas la plus chère de toutes les séries Netflix, House of Cards monte à 100 millions, mais il n'empêche que pour une série de cette ampleur la production s'attendait à un succès minimum avant de la relancer. Sauf que celui-ci n'était pas tellement au rendez-vous, en tout cas du côté de la presse qui semble n'avoir rien compris de la série, où qui se sont arrêtés au premier épisode (qui est quand même objectivement un peu moins bon que le reste). Du coup, Netflix ne s'est pas de suite prononcé sur son sort, ce qu'elle fait généralement lorsqu'elle annule une série. Les fans de la série, de plus en plus nombreux, ont paniqué et ont commencé à manifester leur intérêt prononcé et leur volonté de la voir renouvelée au travers des réseaux sociaux comme Twitter, ou même de sites spécialisés comme ImdB en écrivant critiques positives sur critiques positives, et en essayant de rehausser la note de la série.
Et ça a fonctionné! Le 10 août 2015, Netflix a annoncé sur Twitter que la série était relancée pour une seconde saison, au travers d'une vidéo des différents acteurs principaux souhaitant à leurs personnages un bon anniversaire (ils ont la particularité d'être tous nés le 10 août). Bonheur.
Surtout quand on sait que cette saison a été écrite pour être l'introduction d'une série complète de 5 saisons, vu la réussite magistrale qu'a été la première, les 4 futures n'en sont que plus attrayantes. Le tournage de la saison 2 devrait débuter au printemps 2016, pour une sortie début 2017.
Jusqu’à présent, beaucoup de monde voyait dans les Wachowsky des réalisateurs finis, "has been", qui n'ont jamais vraiment eu qu'un coup de chance dans leur carrière avec Matrix (plus gros succès de Warner jusqu’à Harry Potter). Sauf que cette série prouve qu'ils sont loin d'être terminés. Le format long métrage, même de trois heures comme pour Cloud Atlas, ne leur convenais pas, trop étriqué. C'est sur une série de près de 12 heures qu'ils peuvent développer des histoires denses et des personnages intéressants. La série est montée et pensée comme un immense film découpé en 3 sous-films de 4 épisodes, c'est pourquoi je recommande de soit la visionner d'une traite comme moi, soit de visionner 4 épisodes par 4 épisodes pour les moins courageux, mais certainement pas épisodes par épisodes, vous perdriez le fil rapidement.
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